Les soirs d’orage l’été…

Après une journée de chaleur étouffante, la pluie est tombée, drue. Par les portes grand ouvertes du théâtre, ça sent la terre remuée, cette odeur particulière des soirs d’orage l’été.
À l’aube de cette nouvelle saison, je relis le projet que j’avais écrit en 2016 pour le CDN de Montluçon. Il commençait par ces mots :

Il y a des rencontres, comme des évidences.
Celle avec le théâtre des Îlets en est une.
De ces rencontres naissent les histoires d’amour.
Et l’histoire qui s’écrit ici en est une.
Déjà.

Trois ans plus tard, malgré la peur qui me saisit parfois de nous « installer », la peur du temps, de l’habitude, ces mots ont pris tout leur sens. L’aventure que nous menons ici est bien l’histoire d’une rencontre, sans cesse renouvelée, une histoire d’amour sans cesse recommencée.
Le théâtre des Îlets est un petit miracle qui tient malgré tout, malgré des moyens limités, grâce à toutes celles et tous ceux qui le dessinent au quotidien. Un îlot au milieu de la sècheresse d’une société vouée de plus en plus, envers et contre toutes les évidences, aux seules logiques financières. Le plus petit centre dramatique national de France est cette grande maison de l’art et de la culture, de la rencontre et de l’échange, ruche bouillonnante où se croisent artistes, équipe, publics, qui toutes et tous partagent tacitement une sorte de foi en cette chose qui nous traverse, nous dépasse, nous élève : la grandeur cachée de l’humain.
Oui, nous avons la foi et l’énergie des enfants. Nous ne pouvons nous reposer tandis que le monde est en mouvement. Nous tentons de l’interroger, sans cesse, nous le secouons de toute part, avec nos langages et nos gestes, comme des enfants qui, ne cessant de questionner, jouent avec un morceau de bois dans une rivière pour tenter de comprendre le mouvement du navire sur l’océan. Et le théâtre des Îlets est ce morceau de bois, solide, fort, qui se joue des courants, qui fait la joie des enfants que nous sommes.
Nous sommes fièr·e·s d’avoir accompagné et aidé à naître plus de 25 créations en trois ans, nous sommes heureux·ses quand quelqu’un nous dit que cette maison est la sienne, qu’elle donne du sens à sa vie. Quelle chance de pouvoir construire, ici, chaque jour, un endroit d’utopie réalisée, un lieu concret, où, par les soirs d’orage, l’odeur de terre remuée entre par les portes grand ouvertes et vient secouer nos fatigues et nos vacillements.
Non, le théâtre des Îlets n’est pas un lieu où on « s’installe », même après trois ans. C’est un lieu qu’on habite, porté par la force de ce qui nous a été confié, à toutes et tous : les principes de la décentralisation artistique,
plus que jamais vitale à notre pays, la croyance en la création comme source d’intelligence et d’échange entre tou·te·s, l’attachement à ce territoire comme témoin vivant de l’histoire contemporaine.
Que nous y venions régulièrement ou pour la première fois, que nous le soutenions, que nous y travaillions, que nous y créions, ensemble nous écrivons ici une des aventures les plus passionnantes de l’histoire
actuelle de la décentralisation artistique et culturelle.

Carole Thibaut, juin 2019